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Jerald F. Dirks,
ex-pasteur de l’église méthodiste unie, USA

L’un de mes souvenirs d’enfance le plus lointain est celui où j’entendais la cloche de l’église annonçant la prière du dimanche matin dans la petite ville rurale dans laquelle j’ai grandi. L’église méthodiste était une vieille structure de bois surmontée d’un clocher; elle comprenait deux classes du dimanche pour les enfants, toutes petites et cachées derrière des portes de bois pliantes qui les séparaient du sanctuaire, et une galerie qui abritait les classes du dimanche pour les enfants plus âgés. Elle était située à moins de deux pâtés de maisons de chez moi. Lorsque la cloche se mettait à sonner, nous nous y rendions ensemble, en famille; c’était notre pèlerinage hebdomadaire.

Dans ce cadre rural des années 50, les trois églises de cette petite ville d’environ 500 habitants étaient le centre de la vie communautaire. L’église méthodiste locale, à laquelle appartenait ma famille commanditait des événements sociaux où l’on servait de la crème glacée maison, des pâtés au poulet et du maïs grillé. Ma famille et moi nous impliquions toujours dans ces événements qui ne se déroulaient que trois fois l’an. Par ailleurs, il y avait chaque mois de juin une école biblique d’une durée de deux semaines à laquelle, enfant, j’assistai huit années d’affilée. Mais la messe du dimanche matin et l’école du dimanche étaient des événements hebdomadaires que je m’efforçais de ne jamais rater car je tenais à agrandir ma collection d’épinglettes d’assiduité et de récompenses pour avoir mémorisé des versets de la Bible.

L’église méthodiste locale ferma ses portes lorsque j’étais adolescent; mes parents et moi nous sommes donc tournés vers l’église méthodiste de la ville voisine, qui était à peine plus grande que celle que j’habitais. C’est là que je commençai à considérer mon avenir comme pasteur. Je devins actif dans la fraternité des jeunes méthodistes et je devins même agent régional, conférencier et prêcheur régulier durant l’office annuel du dimanche réservé aux jeunes. Mes prêches commencèrent à retenir l’attention de la communauté et avant longtemps, on me demanda de remplacer des pasteurs absents dans d’autres églises, dans une maison de retraite et dans plusieurs groupes de jeunes et de femmes affiliés à l’église, où il n’était plus rare que je batte des records d’assistance.

À l’âge de 17 ans, lorsque je commençai ma première année à Harvard, ma décision d’entrer au séminaire s’était affermie. Durant cette première année à l’université, je pris un cours de deux semestres en religion comparée, donné par Wilfred Cantwell Smith, dont le champ d’expertise était l’islam. Durant ce cours, j’accordai beaucoup moins d’attention à l’islam qu’aux autres religions comme l’hindouisme et le bouddhisme, car ces deux dernières m’apparaissaient tellement plus ésotériques et étranges, tandis que l’islam m’apparaissait comme assez semblable au christianisme. C’est pourquoi je ne me concentrai pas sur lui autant que j’aurais dû, bien que je me souviens avoir rédigé un court mémoire sur le concept de la révélation, dans le Coran. Néanmoins, comme le cours était basé sur des normes académiques rigoureuses, je pris la peine de me monter une petite bibliothèque personnelle qui contenait entre autres une demi-douzaine de livres sur l’islam; bien qu’ils fussent tous rédigés par des non-musulmans, ils allaient tout de même s’avérer utiles vingt-cinq ans plus tard. Ma petite bibliothèque comprenait également deux traductions anglaises du Coran, que je lus lors de mes études.

Ce printemps-là, Harvard me nomma boursier Hollis, ce qui signifiait que j’étais l’un des meilleurs étudiants de pré-théologie du collège. L’été suivant, je travaillai comme pasteur auprès des jeunes dans une grande église méthodiste unie. Après avoir obtenu mon diplôme de Harvard en 1971, je décidai de m’inscrire à la Harvard Divinity School, où j’obtins une maîtrise en 1974, après avoir été ordonné au diaconat de l’église méthodiste unie en 1972 et avoir reçu une bourse Stewart de cette même église en plus de celle que j’avais reçue de la Harvard Divinity School. Au cours de mon éducation, au séminaire, je complétai un programme de deux années d’externat comme aumônier au Peter Bent Brigham Hospital de Boston. Après l’obtention de ma maîtrise, je passai l’été comme pasteur dans deux églises méthodistes situées dans le Kansas rural où, encore une fois, je battis des records d’assistance.

Vu de l’extérieur, j’étais un jeune pasteur très prometteur, qui avait reçu une excellente éducation, qui faisait salle comble chaque dimanche matin et qui, sur le chemin du ministère, avait surmonté chaque étape avec succès. Mais tout au fond de moi, je me livrais une guerre constante pour maintenir mon intégrité face à mes responsabilités ministérielles. Cette guerre n’avait rien à voir avec celles qu’ont vécues, plus tard, certains télévangélistes qui ont apparemment été incapables de se conformer à une certaine moralité sexuelle… Et elle n’avait rien à voir non plus avec celles des prêtres pédophiles qui ont fait les manchettes. Cette guerre que je me livrais pour maintenir mon intégrité était probablement une des plus communément rencontrées chez les membres du ministère qui avaient eu la chance de recevoir une éducation supérieure.

Il y a une certaine ironie dans le fait que ceux qui étaient prétendument les meilleurs, les plus intelligents et les plus idéalistes pasteurs en devenir eussent été choisis pour avoir reçu la meilleure éducation offerte à l’époque, celle de la Harvard Divinity School. L’ironie est qu’en recevant cette éducation, les séminaristes avaient eu accès à tout ce qui est connu comme faits et vérités historiques au sujet de :

1) la formation de la première église de « courant dominant », et la façon dont la situation géopolitique l’a modelée;

2) l’interprétation « originale » de divers textes bibliques, dont plusieurs vont totalement à l’encontre de ce que la plupart des chrétiens lisent lorsqu’ils ouvrent la Bible, quoique petit à petit, certaines de ces informations sont ajoutées aux nouvelles traductions, qui sont de meilleure qualité;

3) l’évolution de concepts tels que la sainte trinité et celui de Jésus fils-de-Dieu;

4) des considérations non-religieuses qui sont à la base de nombreux crédos et doctrines chrétiens;

5) l’existence de ces premières églises et mouvements chrétiens qui n’ont jamais accepté le concept de trinité ni celui de la prétendue divinité de Jésus (que la paix soit sur lui); et

6) etc. (Ces souvenirs de mon éducation au séminaire sont relatés plus en détail dans mon plus récent ouvrage intitulé The Cross and the Crescent: An Interfaith Dialogue between Christianity and Islam (La croix et le croissant : un dialogue interreligieux entre le christianisme et l’islam), Amana Publications, 2001

Il n’est donc guère étonnant qu’un grand nombre de séminaristes diplômés quittent le séminaire non pas pour aller « occuper les chaires », où ils auraient à prêcher ce qu’ils savent être faux, mais pour occuper des postes dans diverses professions relatives à l’aide sociale ou psychologique. Ce fut le cas pour moi également; j’allai compléter une maîtrise, puis un doctorat en psychologie clinique. Je m’identifiais encore comme chrétien, car je ressentais le besoin de m’identifier à quelque chose et que j’avais été, après tout, ordonné pasteur, même si mon travail régulier était celui d’un professionnel de la santé mentale.

Cependant, mon éducation au séminaire s’était chargée de toute croyance que je pouvais avoir en la trinité ou en la divinité de Jésus (que la paix soit sur lui). (Les sondages révèlent régulièrement que les pasteurs sont moins susceptibles d’y croire (en cela ou en d’autres dogmes de l’église) que les fidèles qu’ils servent, et que les pasteurs ont plus tendance à comprendre l’expression « fils de Dieu » au sens figuré, tandis que les fidèles la comprennent de façon littérale.) Je devins donc un chrétien « de Noël et de Pâques », n’allant plus à l’église que de façon sporadique, et lorsque j’y allais, je grinçais des dents et me mordais la langue en écoutant ces sermons dont je savais le contenu faux.

Ce que je viens de dire ne signifie d’aucune façon que j’étais devenu moins religieux que je ne l’avais été dans le passé ou que j’avais laissé tomber toute spiritualité. Je continuais de prier régulièrement, car ma croyance en une divinité suprême était demeurée intacte et solide, et je menais ma vie en conformité avec les règles d’éthique qui m’avaient été inculquées à l’église et à l’école du dimanche. Mais j’étais suffisamment éclairé pour ne pas adhérer à ces dogmes et articles de foi inventés par les hommes, qui faisaient partie de l’église organisée et qui étaient lourdement chargés d’influences païennes, de notions polythéistes et de considérations géopolitiques d’une époque révolue.

Au fil des ans, je trouvai de plus en plus inquiétante la baisse de religiosité dans la société américaine en général. Je parle ici de religiosité en tant que moralité et spiritualité vivante qui se trouve au fond des individus et non pas de cette religiosité qui se préoccupe de rites, de rituels et de crédos formalisés au sein d’une entité organisée comme une église. La culture américaine perdait de plus en plus son cadre moral et religieux. Deux mariages sur trois se terminaient maintenant par un divorce; chaque jour, la violence faisait un peu plus partie de nos écoles et de nos villes; le sens des responsabilités disparaissait; l’autodiscipline était remplacée par le principe de « si ça fait du bien, alors fais-le »; diverses institutions et divers leaders chrétiens se trouvaient au cœur de scandales financiers et sexuels; et les émotions justifiaient maintenant toutes sortes de comportements, aussi odieux fussent-ils. La culture américaine était devenue une institution en faillite morale et je me sentais bien seul, moi dont la conscience religieuse demeurait intacte.

C’est à ce moment que j’entrai pour la première fois en contact avec la communauté musulmane locale. Cela faisait déjà quelques années que ma femme et moi faisions des recherches sur l’histoire du cheval arabe. Et pour obtenir les traductions de divers documents rédigés en langue arabe, nous prîmes contact avec des arabo-américains qui étaient musulmans. C’est ainsi que nous rencontrâmes Jamal, à l’été de 1991.

Après un premier contact par téléphone, Jamal vint nous rendre visite. Il offrit de traduire certains documents pour nous et nous proposa son aide pour nous guider à travers l’histoire du cheval arabe au Moyen-Orient. Avant qu’il ne quitte notre demeure, cet après-midi là, il demanda à utiliser la salle d’eau pour faire ses ablutions avant d’accomplir l’une de ses cinq prières quotidiennes. Puis il nous emprunta un journal, qu’il utilisa comme tapis de prière pour faire ses dévotions. Nous acquiesçâmes bien sûr à sa demande, tout en songeant que nous aurions pu lui offrir autre chose qu’un journal pour prier. Sans même le réaliser, probablement, Jamal mettait en pratique une très belle forme de da’wah (prêche, ou exhortation). Il ne fit aucun commentaire sur le fait que nous n’étions pas musulmans et ne tenta pas de nous prêcher quoi que soit sur ses croyances religieuses. Il pria tout simplement, ce qui en soi signifiait beaucoup pour quiconque était réceptif au non-dit de ce geste.

Au cours des 16 mois suivants, nos contacts avec Jamal se multiplièrent jusqu’à devenir hebdomadaires et parfois, bi-hebdomadaires. Au cours de ces visites, Jamal ne tenta jamais de me parler de sa religion, pas plus qu’il ne chercha à en savoir plus sur mes propres croyances et convictions religieuses. Il ne suggéra jamais, non plus, que je devienne moi-même musulman. Cependant, j’en apprenais un peu plus à chaque fois. D’abord, par l’exemple de Jamal qui observait scrupuleusement ses horaires de prières. Ensuite, par sa vie quotidienne, qu’il menait en accord avec des valeurs morales et éthiques élevées, tant au niveau des affaires que dans sa vie sociale. Et il y avait sa façon d’interagir avec ses deux enfants. Pour ma femme, celle de Jamal apportait un exemple similaire.

Puis, toujours dans le cadre de ma recherche sur l’histoire du cheval arabe au Moyen-Orient, Jamal commença à me raconter ou à me rapporter 1) des histoires sur les Arabes et des informations sur l’histoire de l’islam; 2) des paroles du prophète Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui); et 3) des versets du Coran et leur signification relative au contexte. En fait, chacune de nos rencontres incluait maintenant une conversation d’au moins 30 minutes portant sur certains aspects de l’islam, mais toujours pour m’aider à comprendre le contexte islamique de l’histoire du cheval arabe. Jamais il ne m’a dit : « c’est ainsi que doivent être les choses »; tout au plus m’a-t-il dit : « c’est ce que croient les musulmans ». Comme Jamal ne me prêchait pas sa religion comme tel et ne m’interrogeait jamais sur mes propres croyances, je ne me sentais pas tenu de les justifier. Nos échanges étaient d’abord et avant tout intellectuels et n’étaient pas du tout teintés de prosélytisme.

Petit à petit, Jamal nous présenta à d’autres familles arabes faisant partie de la communauté musulmane. Il y avait Wa’il et sa famille, Khalid et la sienne, et quelques autres. J’observais ces personnes et ces familles dont la vie était fondée sur un niveau de moralité bien supérieur à celui de la société américaine dont nous faisions partie. Peut-être y avait-il quelque chose, dans la pratique de l’islam, qui m’avait échappé durant mes jours au séminaire.

Vers le mois de décembre 1992, je commençai à me poser de sérieuses questions sur ce que je faisais et où j’en étais, dans ma vie. Ce questionnement avait été provoqué par les considérations suivantes :

1) Depuis 16 mois, notre vie sociale était de plus en plus centrée sur la fréquentation des Arabes de la communauté musulmane locale. Nous passions désormais près de 75% de notre temps réservé à nos activités sociales en compagnie de musulmans arabes.

2) En raison de mon éducation au séminaire, je savais pertinemment à quel point la Bible avait été corrompue (et dans la majorité des cas, je savais aussi exactement quand, où et pourquoi). Je ne croyais plus en la trinité et je ne croyais qu’à un « fils de Dieu » métaphorique. Bref, tout en croyant en Dieu, j’étais aussi strictement monothéiste que mes amis musulmans.

3) Mes valeurs personnelles et mon sens de la moralité rejoignaient bien plus ceux de mes amis musulmans que ceux de la société « chrétienne » qui m’entourait. Bref, le genre de communauté dans laquelle j’avais grandi et que je recherchais encore avec nostalgie, c’est chez les musulmans que je la retrouvais. La société américaine était peut-être en faillite morale, mais cela ne semblait pas être le cas de cette partie de la communauté musulmane que je fréquentais. Les mariages étaient stables, les époux étaient dévoués l’un envers l’autre, et une grande importance était accordée à l’honnêteté et à l’intégrité, au sens des responsabilités et aux valeurs familiales. Ma femme et moi avions tenté de vivre de la même façon, mais depuis plusieurs années, je sentais que nous le faisions dans le contexte d’un vide moral. La communauté musulmane, elle, nous apparaissait bien différente.

Les différents fils étaient entrain d’être tissés en une seule corde. Les chevaux arabes, la façon dont j’avais été élevé, mon incursion dans un ministère chrétien et mon éducation au séminaire, mon désir nostalgique de vivre dans une communauté fondée sur des valeurs morales puis, mes contacts avec la communauté musulmane, tout cela devenait étroitement entrelacé. Mon questionnement atteignit son paroxysme lorsque je me demandai qu’est-ce qui me séparait, exactement, des croyances de mes amis musulmans. Je suppose que j’aurais pu soulever la question en présence de Jamal ou de Khalid, mais je ne me sentais pas prêt à franchir ce pas. Je n’avais jamais, jusque-là, discuté de mes convictions personnelles avec eux et d’une certaine façon, je n’avais pas vraiment envie d’introduire ce sujet dans notre amitié.

Je sortis donc de ma bibliothèque tous les livres sur l’islam que j’avais achetés lorsque j’étais étudiant. Même si mes croyances étaient très éloignées de la position traditionnelle de l’église et même si j’assistais très rarement à la messe, je m’identifiais toujours comme chrétien et c’est peut-être la raison pour laquelle je me tournai vers des ouvrages écrits par des occidentaux non-musulmans. Ce mois de décembre-là, je lus une demi-douzaine de livres sur l’islam, dont une biographie du prophète Mohammed (que la paix et les bénédictions de Dieu soient sur lui). Puis, j’entamai la lecture de deux traductions différentes du Coran. Je ne parlai jamais à mes amis de cette quête personnelle. Je ne mentionnai jamais les livres que je lisais, pas plus que je ne discutai de leur contenu. Mais il m’arrivait, à l’occasion, de poser une brève question à l’un d’eux.

Bien que je ne parlai jamais de mes lectures à mes amis musulmans, j’eus de nombreuses conversations à ce sujet avec ma femme. Au cours de la dernière semaine de décembre, je me rendis à l’évidence : il n’y avait pas de réelle différence entre mes convictions personnelles et les principes généraux de l’islam. J’étais prêt à reconnaître que Mohammed était un prophète (qui avait parlé sous l’inspiration de Dieu) et je n’avais aucune difficulté à affirmer qu’il n’y a pas d’autre divinité à part Dieu (louanges à Lui), mais j’hésitais encore à prendre une décision. Je reconnaissais en moi-même que j’avais bien plus en commun avec les croyances islamiques telles que je les comprenais qu’avec le christianisme traditionnel de l’église organisée. Après mes études au séminaire, je savais trop bien à quel point je pouvais aisément confirmer ce que le Coran affirmait au sujet du christianisme, de la Bible et de Jésus (que la paix soit sur lui).

Néanmoins, j’hésitais. De plus, je rationalisais mon hésitation en me disant que je ne connaissais pas tous les aspects pratiques ni les petits détails importants et essentiels de l’islam, et que mes convictions ne rejoignaient, en somme, que les grands concepts de cette religion. C’est pourquoi je continuai à lire, et à lire encore.

L’identité d’une personne est une puissante affirmation de la position qu’elle occupe dans l’univers. Dans l’exercice de ma profession, j’avais à quelques reprises été appelé à traiter certains désordres liés aux dépendances, allant de l’accoutumance à la cigarette, en passant par l’alcoolisme et l’abus de drogues. En tant que clinicien, je savais que la dépendance physique devait être surmontée pour susciter l’abstinence initiale. C’était la partie facile du traitement. Comme l’a déjà dit Mark Twain : « Cesser de fumer est facile; je l’ai fait des centaines de fois. ». Je savais que la clef pour prolonger l’abstinence sur une longue période était de surmonter la dépendance psychologique, qui est profondément enracinée dans le sentiment identitaire d’une personne (dans ces cas précis, les patients s’identifiaient eux-mêmes comme fumeurs, ou buveurs, etc.). Le comportement de dépendance étant devenu une partie importance du sentiment identitaire du patient, modifier ce sentiment est essentiel à la poursuite de la thérapie. C’est là la partie difficile du traitement. Car modifier son sens identitaire est une chose très difficile. Notre psyché a tendance à s’accrocher à tout ce qui lui est familier, car c’est psychologiquement plus confortable et sécurisant que d’avoir à affronter des choses nouvelles et non familières.

D’un point de vue professionnel, je possédais ces connaissances et elles me servaient chaque jour. Mais ironiquement, je n’étais pas prêt à les appliquer à moi-même et à ma propre hésitation à remettre en question mon identité religieuse. Durant 43 ans, mon identité religieuse avait été clairement étiquetée « chrétien » et était demeurée telle en dépit des nombreux autres qualificatifs qui étaient venus s’y ajouter au fil des ans. Laisser tomber cette étiquette n’était pas facile, car elle était partie intégrante de la façon dont je m’identifiais en tant qu’être humain. Avec du recul, il m’apparaît évident que mon hésitation me servait à garder intact mon identité religieuse; j’étais toujours un chrétien, même si j’étais un chrétien qui pensait comme un musulman.

Nous étions à la fin du mois de décembre et ma femme et moi devions remplir nos formulaires de demande de passeports, car on nous avait proposé un voyage au Moyen-Orient. Une des questions du formulaire avait trait à l’affiliation religieuse. Sans même y réfléchir, je cochai tout de suite ce qui m’était le plus familier, c’est-à-dire « chrétien ». C’était facile, familier, confortable.

Mais ce « confort » fut momentanément interrompu lorsque ma femme me demanda ce que j’avais répondu à la question portant sur l’affiliation religieuse. Je répondis immédiatement « chrétien » et me mis à glousser distinctement. Une des contributions de Freud à la compréhension de la psyché humaine est sa réalisation que le rire sert souvent à relâcher une tension psychologique. Bien qu’il ait eu tort sur plusieurs aspects de sa théorie du développement psychosexuel, il a visé juste dans sa perception du rire. Je m’étais donc mis à rire! Quelle était cette tension psychologique que j’avais besoin de relâcher par le rire?

Je me rattrapai vivement en affirmant à ma femme que j’étais bel et bien chrétien et non musulman. En réponse de quoi elle me fit remarquer qu’elle n’avait fait que poser une simple question, car elle désirait savoir si j’avais coché « chrétien », « protestant », ou « méthodiste ». En tant que psychologue, je savais qu’une personne ne se défend normalement pas contre une accusation qui n’a pas même été portée. (Si, au cours d’une séance de psychothérapie, un patient lâchait tout à coup un « je ne suis pas en colère contre cela! » alors que je n’avais même pas abordé le sujet de la colère, il m’apparaissait évident qu’il ressentait le besoin de se défendre contre une attaque qui venait en fait de son propre subconscient. Il était en colère, mais n’était encore prêt à l’admettre.) J’étais bien conscient de tout cela, mais j’hésitais toujours. L’étiquette religieuse à laquelle je m’identifiais depuis 43 ans n’allait pas se détacher facilement.

Nous étions maintenant à la fin du mois de janvier 1993 et il y avait plus d’un mois que ma femme m’avait posé cette question. J’avais lu attentivement tous les livres que je possédais sur l’islam; j’avais remis sur l’étagère mes deux traductions anglaises du Coran et j’étais maintenant entrain de lire une troisième traduction. Peut-être que dans cette traduction, j’arriverais à trouver une justification pour…

Lorsque je travaillais, je dînais parfois dans un petit restaurant arabe du quartier. Ce jour-là, j’entrai et allai m’installer à une petite table, comme à mon habitude, puis j’ouvris cette troisième traduction du Coran, songeant que je pouvais aussi bien poursuivre ma lecture durant mon heure de dîner. Quelques instants plus tard, je me rendis compte que Mahmoud se tenait debout près de mon épaule, attendant que je lui passe ma commande. Il jeta un coup d’œil sur ce que j’étais entrain de lire, mais ne dit rien. Une fois ma commande passée, je replongeai dans ma lecture.

Quelques minutes plus tard, l’épouse de Mahmoud, Iman, une américaine convertie à l’islam portant hijab et vêtements modestes, m’apporta mon plat. Elle remarqua que je lisais le Coran et me demanda poliment si j’étais musulman. Le mot sortit de ma bouche avant que je puisse l’accompagner d’une formule de politesse : « non ! ». Je prononçai cet unique mot avec force et sur un ton qui ne cachait pas mon irritation. Devant cette réponse, Iman se retira discrètement.

Que m’arrivait-il? Je venais de me comporter de façon très impolie et même agressive. Qu’avait fait cette femme pour mériter une réponse aussi brutale? Cela ne me ressemblait pas. Compte tenu de l’éducation que j’avais reçue, enfant, j’utilisais toujours les termes « monsieur » et « madame » en m’adressant aux commis ou caissiers qui me servaient dans les magasins. J’avais pu faire semblant d’ignorer mon propre rire qui était le signe d’un relâchement de tension, mais je ne pouvais maintenant ignorer mon comportement inadmissible. Je mis de côté ma lecture et tout en mangeant, je me mis à ruminer sur la tournure des événements. Plus je ruminais, plus je me sentais coupable de mon comportement. Je savais que lorsque Iman m’apporterait l’addition, à la fin du repas, j’aurais à faire amende honorable, n’était-ce que parce que la politesse la plus élémentaire l’exigeait. De plus, j’étais passablement ébranlé de la résistance que j’avais opposée à sa question pourtant inoffensive. Que se passait-il en moi pour que je réponde aussi farouchement à une question simple et directe? Pourquoi cette question m’avait-elle amené à me comporter de façon aussi atypique?

Quand Iman revint avec l’addition, je tentai, de façon détournée, de lui présenter mes excuses en disant : « Je crois avoir répondu à votre question de manière un peu brusque. Si vous me demandiez si je crois en un seul Dieu, ma réponse est oui. Si vous me demandiez si je crois que Mohammed était l’un des prophètes de ce même Dieu, ma réponse est oui également. » Alors très gentiment, elle répondit : « Je vous en prie. Pour certaines personnes, cela demande un peu plus de temps que pour d’autres. »

Peut-être que vous, lecteurs, avez déjà compris le jeu psychologique que je m’imposais à moi-même et j’ose espérer que vous ne riez pas trop fort de ma gymnastique mentale et de mon étrange comportement. Je savais parfaitement qu’à ma manière, et dans mes propres mots, je venais de prononcer la shahadah, c’est-à-dire la profession de foi islamique qui dit : « J’atteste qu’il n’y a pas d’autre dieu qu’Allah et que Mohammed est Son messager. » Mais même après avoir dit cela et après avoir reconnu la portée de ce que je venais de dire, je persistai à me raccrocher à l’étiquette religieuse qui m’était familière. Après tout, je n’avais pas dit que j’étais musulman. J’étais simplement un chrétien, bien qu’atypique, qui voulais bien reconnaître qu’il n’y a pas d’autre divinité à part Dieu et que la trinité n’existe pas, et que Mohammed avait été l’un des prophètes inspirés par ce Dieu unique. Si un musulman voulait me considérer comme musulman, c’était son affaire, pas la mienne. Je me leurrais moi-même en me disant que je venais de découvrir la solution à ma crise identitaire religieuse. J’étais un chrétien et j’allais dorénavant soigneusement expliquer aux gens que j’étais d’accord avec l’attestation de foi islamique et que je la reconnaissais comme vraie. Puis, une fois que j’aurais fourni mon explication alambiquée en disséquant la langue anglaise, les autres pourraient me coller toutes les étiquettes qu’ils souhaitent; ce serait leur étiquette, pas la mienne.

Nous étions maintenant au mois de mars 1993 et ma femme et moi profitions de vacances de cinq semaines au Moyen-Orient. C’était aussi le mois de Ramadan, moment où les musulmans jeûnent de l’aube au coucher du soleil. Comme nous étions souvent en compagnie de membres des familles de nos amis musulmans vivant aux États-Unis, ma femme et moi prîmes la décision de jeûner aussi, ne fût-ce que par courtoisie. Durant cette période, j’avais aussi commencé à accomplir les cinq prières quotidiennes avec mes nouveaux amis musulmans dont je venais de faire connaissance au Moyen-Orient. Après tout, rien, dans ces prières, ne recevait ma désapprobation.

J’étais chrétien, ou du moins c’est ce que j’affirmais. J’étais né dans une famille chrétienne, on m’avait élevé dans le christianisme, j’avais assisté à la messe et à l’école du dimanche, j’étais diplômé d’un prestigieux séminaire et j’avais été ordonné pasteur d’une importante dénomination protestante. Mais j’étais aussi un chrétien qui ne croyait ni en la trinité ni en la divinité de Jésus (que la paix soit sur lui); qui savait que la Bible avait été corrompue; qui avait prononcé la shahadah dans ses propres mots alambiqués; qui jeûnait le mois de ramadan; qui priait, comme les musulmans, cinq fois par jour; qui était très impressionné par les bonnes manières et le bon comportement de la plupart des musulmans, tant au Moyen-Orient qu’aux États-Unis. (Le temps et l’espace ne me permettent pas de détailler ici tous les exemples de bonne moralité et d’éthique dont j’ai été témoin au Moyen-Orient.) Lorsqu’on me demandait si j’étais musulman, je me lançais la plupart du temps dans un monologue de cinq minutes dans lequel je reprenais les arguments énumérés ci-dessus; autrement dit, je ne répondais pas vraiment à la question. Je m’adonnais à des jeux de mots intellectuels auxquels j’excellais.

La fin de notre voyage approchait. Un ami d’un certain âge (qui ne parlait pas un mot d’anglais) et moi marchions sur une petite route tortueuse, quelque part dans un quartier pauvre d’Amman, en Jordanie. Tout à coup, un autre homme d’un certain âge, venant en sens inverse, s’approcha de nous et dit « assalam’alaikum » (i.e. « que la paix soit sur vous ») et nous tendit la main. Il n’y avait que nous trois, je ne parlais pas vraiment l’arabe et aucun des deux ne parlait l’anglais. Me regardant, l’étranger demanda : « mouslim? » (i.e. « musulman? »).

À cet instant précis, je me sentis complètement, totalement piégé. Je ne pouvais jouer aucun jeu intellectuel, car nous n’avions pas de langue de communication commune. Il n’y avait aucun traducteur pour m’aider, et qui aurait pu me permettre de me réfugier derrière mon monologue soigneusement préparé. Je ne pouvais non plus faire semblant de ne pas avoir compris la question, car il n’était que trop évident que je l’avais comprise. Cette situation soudaine, je ne l’avais pas prévue; mes choix de réponses furent dès lors réduits à deux : je ne pouvais que répondre « n’am », i.e. « oui », ou « la », i.e. « non ». Je devais choisir entre ces deux réponses, je n’avais pas d’autre choix. Je devais choisir, et je devais le faire à l’instant même. Gloire à Dieu, je répondis « n’am ».

En prononçant cette unique parole, toutes mes acrobaties intellectuelles furent désormais derrière moi, de même que les jeux psychologiques par lesquels je me faisais croire à moi-même que j’étais encore chrétien. Je n’étais plus ce chrétien étrange, atypique. J’étais musulman. Gloire à Dieu, ma femme, avec laquelle j’avais été jusque-là marié 33 ans durant embrassa elle aussi l’islam à peu près à la même période.

Quelques mois après notre retour aux États-Unis, un voisin nous invita chez lui afin, nous dit-il, de nous entretenir au sujet de notre récente conversion à l’islam. C’était un pasteur méthodiste à la retraite, avec lequel j’avais discuté à plusieurs reprises dans le passé. Nous avions déjà abordé, bien que superficiellement, le sujet de la composition artificielle de la Bible à partir de sources premières et indépendantes, mais nous n’avions jamais eu de discussion en profondeur sur la religion. Je ne savais pas grand’chose à son sujet, à part le fait qu’il avait acquis une solide éducation au séminaire et qu’il chantait chaque dimanche dans le chœur de l’église locale.

Ma première réaction fut « et voilà… ». Néanmoins, comme il est du devoir du musulman d’être un bon voisin et qu’il est également de son devoir de parler d’islam avec les autres, j’acceptai l’invitation pour le soir suivant, et je passai presque toute la journée à penser à la meilleure approche à utiliser lorsque viendrait le moment d’aborder le cœur du sujet. Le soir, ma femme et moi nous rendîmes chez nos voisins. Après avoir échangé quelques banalités, il finit par me demander pourquoi j’avais décidé de devenir musulman. J’attendais la question et ma réponse était soigneusement préparée : « Comme vous le savez, de par l’éducation que vous avez reçue au séminaire, plusieurs considérations non-religieuses ont mené aux décisions du concile de Nicée… » Il me coupa immédiatement par une question directe : « Vous ne pouviez tout simplement plus endurer le polythéisme, n’est-ce pas? » Il savait donc parfaitement pourquoi j’étais devenu musulman et le plus incroyable est qu’il était d’accord avec ma décision! Pour lui-même, à son âge et dans la position qu’il occupait, il avait choisi d’être un « chrétien atypique ». J’espère qu’il aura été de la volonté de Dieu qu’il ait maintenant fait la transition de la croix au croissant.

Être musulman en Amérique demande des sacrifices. En fait, être musulman tout court demande des sacrifices, n’importe où dans le monde. Mais ces sacrifices sont peut-être ressentis avec plus d’intensité en Amérique, surtout chez les Américains convertis. Certains de ces sacrifices sont prévisibles, comme les modifications dans la façon de s’habiller, le fait de ne pas consommer de porc ni d’alcool, ou encore d’éviter de recevoir ou de payer des intérêts. Mais d’autres sacrifices sont moins prévisibles. Par exemple, une famille chrétienne avec laquelle nous étions étroitement liés nous laissa entendre qu’elle ne pouvait plus nous fréquenter car elle ne voulait pas être associée à des gens « qui n’acceptent pas Jésus comme sauveur personnel ». Par ailleurs, plus d’un collègue de travail changea d’attitude envers moi. J’ignore si c’est une coïncidence ou non, mais de moins en moins de patients furent orientés vers mon cabinet, ce qui provoqua une chute de 30% de mes revenus professionnels. Donc certains de ces sacrifices moins prévisibles furent difficile à accepter, mais tout compte fait, un bien faible prix à payer pour ce que j’allais recevoir en retour.

Ceux qui envisagent une conversion à l’islam, i.e. la soumission à un Dieu unique, doivent savoir qu’il y aura des sacrifices qui les attendront tout au long de cette voie. Certains sont prévisibles, tandis que d’autres sont plutôt surprenants et inattendus. Je tiens à vous présenter les choses sous leur vrai jour et c’est pourquoi je ne nierai pas la réalité de ces sacrifices. Néanmoins, ne soyez pas troublés outre mesure par ces sacrifices. En dernière analyse, ils sont moins importants qu’ils peuvent paraître. Si Dieu le veut, vous trouverez que c’est peu cher payé pour ce que vous recevrez en retour.



Note : Le certificat d’ordination, ci-dessus, était trop long pour être scanné au complet – il manque la ligne du haut, qui dit : « Que tous les hommes sachent que ».






Source: islamreligion.com/fr/